Mon arrivée récente dans cette nouvelle école ne s'était pas faite sans heurts. D'abord mon père qui s'opposait formellement à ce que je passe mon diplôme de médecine, et depuis peu, le bruit avait couru dans Manhattan que la fille Astor était entrée à la Bone's School. Des nuées de paparazzi me suivaient de l'hôtel à la fac. Une vraie galère pour une fille qui voulait tout simplement passer inaperçue. Les premiers jours, j'avais réussi à passer uniquement pour la petite nouvelle, mais depuis une semaine, j'étais "l'héritière qui tenait tête à papa". New York avait beau être une grande ville, les ragots et rumeurs se répandaient comme une trainée de poudre, surtout quand les paparazzi alignaient les billets sous le nez du personnel de l'hôtel.
Ce matin-là j'arrivais à la fac, emmitouflée dans mon manteau. Le froid qui régnait sur la grosse pomme était saisissant. Entrant dans le grand hall, je saluai mes nouveaux amis

- Salut !
- Salut Lizzie ! ou devrai-je dire miss People !
- Ca bon Steve ! Arrêtes avec ça tu veux ? Ca me gave suffisamment comme ça !
- Désolé ! Alors ? Prête pour l'affectation ?
- Oh merde ! C'est aujourd'hui ? J'avais oublié !
- Lizzie tu rigoles ? C'est le grand jour ! On va enfin savoir dans quel service on va faire notre premier stage !
- Oui je sais, mais avec toute cette agitation et mon père qui me cherche des poux dans la tête, j'ai complètement oublié

Le professeur Lewis, notre responsable, passa à notre niveau

- Les jeunes dans l'amphi...Maintenant !

Je regardai ma montre

- Mais professeur les cours ne commencent que dans 15 minutes !

- Astor ? Urgences !
- Non ! Professeur Lewis ! Pas les urg' !
- J'ai dit la mine ! Et tu y vas tout de suite !

Inutile de rétorquer, je n'aurai gagné que des heures de gardes supplémentaires.Je grimaçai. Les urgences, le purgatoire ! Le passage obligé et tant redouté des étudiants en médecine. La galère...
Je me rendis dans le service après être passée par les vestiaires. Je fus interpelé par le responsable du service

- Ton nom ?
- Lizzie Astor !
- Sutures ! me lança-t-il d'un air détaché

Alors là c'était le bouquet ! Le pire des postes ! J'entrai en salle de suture, totalement dépitée et remarquai la présence d'un jeune homme, un kit de suture entre les mains. Une plaie béante ornait son bras. Il me demanda de l'aide.

- Oui, je confirme ! Vous n'allez pas pouvoir vous recoudre vous-même enfin ! Il fallait attendre un médecin !

J'enfilai une paire de gant et inspectai la plaie.

- Ca n'est pas trop profond, je vais vous suturer tout de suite.

J'allais chercher un kit stérile, désinfectai la plaie et refermai la plaie par des points bien serrés. Sans lever les yeux sur lui, je commençai

Comment vous êtes-vous fait ça ?

Je coupai le fil et apposait un pansement sur la plaie. Levant les yeux vers lui, je lui souris et lui donnait les recommandations de rigueur.

Je débarrassai le matériel souillé et le jetai à la poubelle. Retirant mes gants, je jetai un coup d'oeil au jeune homme. La première chose que je regardai chez un homme était ses yeux. Et là, je n'étais pas déçue. Un regard superbe, tout à fait à mon goût. Il était loin d'être désagréable à regarder mais à en juger par les sourires et les oeillades qu'il m'adressait, il le savait. Et ce genre de type imbus de sa personne, je détestai ça. J'en croisais à la pelle dans les rues de Manhattan et aux brunchs de mes parents. Je ne le connais pas, mais il devait certainement être le genre d'homme à jouer de ses charmes pour obtenir ce qu'il voulait. Je m'affairai à remettre en état la table d'examen. Désinfection du cuir, remis en place d'un nouveau drap d'examen. Sans le regarder, j'ajoutai

- La prochaine fois faites attention. Vous seriez surpris de voir dans quel état arrive certains motards aux urgences. C'est pas beau à voir.

Il me remercia et je le vis s'emparer de compresses. J'avançai rapidement vers lui et remarquai des traces de sang dans son cou

-Laissez-moi regarder !

Il se dégagea rapidement, m'adressa un demi-sourire et s'enfuit. Le peu que j'avais vu de sa blessure ne semblait pas inquiétante, et je décidai de ne pas lui courir après. Après tout, s'il ne voulait pas que je regarde, tant pis pour lui. Je me retournai et regardai cette pièce qui allait devenir ma seule occupation dans les jours à venir. Je soupirai, exaspérée à l'idée de ne faire que des points à des gosses tombés de vélos, ou à des bricoleurs du dimanche, alors que certains de mes camarades prendraient en charge des cas complexes et en profiteraient pour parfaire leurs connaissances. Je n'eus pas longtemps à attendre avant de voir entrer dans la pièce mon premier patient, accompagné d'une infirmière

- Bonjour, je suis Maddy, me lança-t-elle. Je vous présente Monsieur Duncan.

Je saluai le nouvel arrivant, en souriant.

-Monsieur Duncan ! Je suis Lizzie. Alors ! Montrez-moi ça !

Je passai une paire de gants et m'emparai de sa main. Une coupure nette et profonde sur la paume de la main.

-Comment vous êtes vous fait ça ?

- Un couteau de cuisine...

Je le sentis très nerveux et détendis d'atmosphère en riant

-Monsieur Duncan ! Enfin voyons ! Vous avez confondu votre main avec le poulet ?

Tous s'esclaffèrent et je pus commencer les soins dans une ambiance plus sereine. M'emparant de l'aiguille incurvée, je perçai la peau et effectués des points très serrés. Une plaie à la main étant une des plus difficile à refermer. Les recommandations de rigueur lui furent faites et il s'apprêta à quitter la pièce.

-Merci Docteur. Je n'ai presque rien sentis et quand je vois une belle femme comme vous, je me dis que je vais me couper plus souvent rien que pour venir vous voir !

Flattée par les paroles de ce cinquantenaire, pas du tout à mon gout, je lui décochai un magnifique sourire.

-Vous avez eu de la chance Monsieur Duncan, mais la prochaine fois, ça ne sera peut-être pas moi et là vous regretterez d'être venu !

Je lui adressai un clin d'oeil et le laissai se faire raccompagner par Maddy.
Génial pensai-je en moi-même. Un patient qui me fait du gringue et il n'est même pas beau en plus. Je m'installai sur le tabouret et attendis le patient suivant. Après une dizaine de minutes, sans activité, je sortis et me rendis dans le bureau des infirmières.

-Bonjour ! Je suis Lizzie ! Pas de sutures en vue ?

-Non Lizzie, c'est très calme. Juste un polytrauma.

Je grimaçai. Un cas intéressant, et j'étais là en train de faire la causette avec les infirmières. Je retournai, en trainant les pieds dans la salle de suture. Pour passer le temps, j'inspectai tous les placards, histoire de savoir où se trouvait tout le matériel, quand j'entendis quelqu'un entrer.
Je me retournai et aperçu le jeune homme que je venais de soigner. Le sourire aux lèvres, il me salua.

- Re !

Je le détaillai de la tête au pied. Il avait revêtu la tenue réservé aux externes. Je m'adossai au meuble et souris doucement

- Tu t'étais bien gardé de me dire que tu étais étudiant !

Je m'approchai de lui et lui tendit la main

-Lizzie. Enchantée. Alors c'est toi qui est de corvée de sutures avec toi ? Alors bienvenu en enfer
J'éclatai de rire. Après tout, il valait mieux prendre cette affectation à la rigolade. Penchant la tête, je remarquai le bout de tissu sur son cou. Je le regardai, aussi convaincante que possible, lui souris et lançai

-Maintenant que tu es là, tu me laisserai jeter un coup d'oeil à ton cou ?

-Ca n'a pas d'importance ? Quand même un peu, excuses-moi ! On va bosser ensemble pendant quelques temps, alors un minimum de franchise est requit !

D'un coup de talon, je m'écartai du meuble pour m'approcher de lui. Il prit ma main et y déposa un baiser, avant de se présenter en
italien. Le charmeur par excellence, me dis-je intérieurement. C'est bien ce que je pensais. Il cadrait tout à fait avec la première impression qu'il m'avait fait. Mais s'il pensait m'impressionner,
il se trompait.

- molto bel accento italiano Alec !

J'avais assez pratiqué l'italien pour savoir me débrouiller. Reprenant ma main dans un sourire, je vint m'assoir sur la table d'examen, laissant mes jambes se balancer. Je l'écoutais me dire son indifférence face à son affectation. Je lui jetai un regard, fort surprise. Soit il était un de ces fils de médecins qui de toute façon était déjà assuré d'obtenir son diplôme sans trop d'effort, soit c'était un gars qui avait échoué en médecine parce qu'il en avait les facilités, mais qu'il ne se destinait pas à ce job. Je souris à l'attendre

- Moi non plus ça ne me dérange pas, mais je préfèrerai travailler sur un trauma. Un cas plus intéressant en tout cas

Il me filait le tournis sur ton tabouret et s'immobilisa à ma demande de vérifier la plaie de son cou. Jetant un rapide coup d'oeil, je m'aperçus que le sang semblait avoir coagulé autour de la blessure.

- A ta guise, tu es un grand garçon

Je me redressai en voyant entrer une petite fille et sa mère. J'allais prendre en charge la patiente, afin de m'occuper quand Alec me fit signe qu'il s'en chargeait. Je lui répondis par un léger signe de tête et m'écartai pour le laisser faire. L'infirmière se chargea de sortir tout le matériel. Je le regardai s'adresser à la petite fille. Maia. Croisant les bras, j'analysai la situation. Il était très calme et semblait apaiser la petite. Il l'installa et lui fit écouter de la musique. Ingénieux ! pensais-je. Musicothérapie. Il est plus surprenant que je ne l'aurais imaginé. Je m'approchai légèrement et d'un oeil expert, le scrutai effectuer les points. Je hochai la tête, impressionnée par sa précision. Une fois le soin terminé, je reculai à nouveau et vint m'assoir sur la paillasse carrelée. Je ne pus retenir un sourire attendri en le voyant se comparer à la petite fille. Elle s'apprêtait à quitter la salle d'examen en compagnie de sa mère. Je les saluai

- Salut Maia ! Au revoir Madame

Regardant Alec, j'applaudis.

- Bravo chef ! Je suis impressionnée ! Tu sais y faire avec les patients !

Il regagna son tabouret et recommença à tourner sur lui même. En me demandant si la médecine était ma passion, il venait de me lancer sur mon terrain de prédilection. Le sourire aux lèvres, je commençai

- Ca n'est pas une passion, mais un sacerdoce ! Je serais médecin et rien ne m'en empêchera. Depuis toute petite j'en ai la certitude, je suis faite pour ce métier. Je ne peux pas l'expliquer, mais c'est comme si c'était une mission.

Je marquai un temps d'arrêt, repensant à cet accident dont j'avais été témoin alors que j'étais âgée d'à peine douze ans. Un chauffard avait grillé la priorité juste devant nous et était venu d'encastrer dans la voiture située devant nous. Mes parents étaient sortis portés secours aux occupants, et sans savoir pourquoi, j'étais sortie de la voiture pour aller voir ce qu'il se passait. A l'arrière, sur la banquette de la voiture accidentée, gisait une petite fille d'environ mon âge. Le visage couvert de sang, elle me regarda avec des yeux implorants. Elle semblait souffrir. J'avais attrapé la main de mon père

- Papa ! Il faut les aider !
- On ne peut rien faire Elizabeth. On doit attendre les secours

Les ambulances n'arrivèrent qu'un quart d'heure plus tard. Trop tard. La jeune fille était morte, là sous mes yeux. J'étais la dernière personne qu'elle avait vu avant de tirer sa révérence. Son visage est resté marqué dans mon esprit. Je rendant compte de mon silence, je secouai légèrement la tête et affichai un sourire de façade.

- Je serai médecin !

Il m'écoutait sans réagir. Je lui décochai un large sourire

- Et toi ? Une passion aussi ?